CONSEILS POUR LA PRIERE
par Le Père Matta el-Maskîne
Père du Monastère de saint Macaire en Egypte
Chaque fois que nous nous tenons debout devant le Christ pour prier avec ferveur et supplication, notre volonté rencontre la sienne et nous obtenons miséricorde. Par la fréquence et la sincérité de la prière, les deux volontés viennent à se rapprocher.
Dans la prière, le Christ nous rencontre et nous révèle sa volonté
Ce n'est que dans la prière que le Christ peut nous atteindre afin de nous manifester sa volonté.
Le Christ attend et souhaite notre prière: " Voici que me tiens à la porte et je frappe (Apoc 3, 20) ". Dans l'Evangile, il nous a révélé l'importance et la nécessité de la prière, en insistant pour que nous priions toujours, sans cesse et sans jamais nous lasser (Luc 18,1). Pourquoi ? Parce que c'est justement dans la prière qu'il peut nous atteindre, nous révéler sa volonté et nous donner sa grâce.
Le péché est haï du Père et il attriste le coeur du Christ, car il a été la cause de la croix et des souffrances terribles que le Seigneur a endurées sans pitié de la part des hommes. Cependant, dès que le pécheur se présente devant Dieu le Père en se tenant à la croix et en suppliant au nom du sang du Christ, son péché lui est remis, la condamnation cesse de peser sur lui et il n'est plus maudit. Aussi est-il bon de porter la croix et de la baiser souvent durant la prière.
Le Christ a enduré la croix en vue de la joie qui lui était proposée (Heb 12, 2), c'est-à-dire la joie de sauver les hommes et de les réconcilier avec le Père. C'est en vue de cette même joie qu'il continue à supporter nos péchés et qu'il reste toujours disposé à les pardonner, même s'ils se renouvellent plusieurs fois par jour, pourvu qu'à chaque fois nous revenions à lui avec un coeur contrit. Les souffrances qu'il a endurées jusqu'à la mort montrent bien qu'il est disposé sans limite à supporter nos péchés, car son coeur connaît la faiblesse de notre nature, la défaillance de notre volonté et la grande misère de l'homme.
Aussi est-il bon de se présenter au Christ, durant la prière, dans l'attitude du pécheur conscient de sa misère, se frappant la poitrine, la tête baissée et le front couvert de poussière, mais en même temps avec l'assurance d'être accueilli et pardonné par lui en raison de sa grande compassion, de la prédilection qu'il a pour les plus faibles et de la joie qu'il éprouve à chacun de nos retours.
La prière est un don précieux
La prière est un don précieux accordé à l'homme pour entrer en la présence de Dieu le Père par la médiation de Jésus-Christ. C'est par une condescendance inouïe de sa nature que Dieu accepte ainsi de se mettre à la portée de 'homme à cause de l'amour du Père pour son Fils Jésus-Christ qui se tient humblement parmi nous chaque fois que nous prions, selon sa promesse (Mat 18, 19). Le Saint Esprit prépare, par la grâce, cette rencontre spirituelle invisible. Aussi faut-il se prosterner en toute piété et vénération devant le Père, le Fils et le Saint Esprit, à plusieurs reprises, afin d'honorer la présence divine et de manifester sa complète soumission à la Sainte Trinité.
A chaque prosternation, il est bon de baiser la croix, au prix de laquelle nous avons obtenu ces dons précieux et nous a été ouvert l'accès avec assurance et confiance auprès du Père.
La prière commence au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, car (c'est) Lui le Dieu unique qui doit être adoré. Vient ensuite la doxologie. Par elle, on rend gloire à la Sainte Trinité, et on témoigne de la plénitude de la présence divine. Puis le " Notre Père " que nous devons réciter lentement en l'adressant au Père, en toute vénération, dans l'attitude d'Abraham quand il s'adressait à Dieu avec le sentiment écrasant de n'être que " poussière et cendre ".
Dieu ne peut être contenu par le ciel ni par les cieux les cieux, à combien plus forte raison par la terre. Malgré cela, il aime entrer et se reposer dans l'âme humaine qui revient à lui. Car l'âme humaine est un souffle de l'haleine de Dieu, c'est-à-dire de son Esprit. De même que l'âme éprouve un désir inné envers son Créateur, de même le Créateur désire-t-il se reposer en sa créature car elle est de son propre Esprit.
Aussi ne faut-il s'imaginer durant la prière aucune forme extérieure de Dieu le Père, ni du Fils ni du Saint Esprit comme s'ils se trouvaient en dehors de l'homme ou comme si l'oeil humain pouvait les contempler, car c'est à l'intérieur de l'âme que Dieu se rend présent et non pas à l'extérieur. Nous sentons alors sa présence, mais sans le voir.
" Prie ton Père qui est dans le secret "
L'appréhension à l'égard de Dieu, l'effrayante accumulation de nos péchés, ou encore les doutes que provoquent la tentation ou la maladie, nous empêchent de sentir la présence de Dieu Mais cela ne veut pas dire que Dieu n'est pas présent à notre prière. Il est impossible que l'homme commence une prière humble et sincère et que Dieu reste absent à l'homme; car l'amour que Dieu a pour l'homme repentant l'empêche d'être attentif aux péchés, ou d'être rebuté par l'impureté de l'homme ou par ses doutes; car cet amour divin possède une puissance infinie de rémission et de purification
Dépasser les sensations par la foi
Aussi est-il nécessaire que, se défaisant de ses doutes, l'homme soit assuré que Dieu est présent à sa prière, qu'il écoute ses paroles et ses supplications, et que c'est avec plaisir qu'il agrée sa prière Il doit également être convaincu que Dieu n'est pas inconstant comme les hommes; son amour est stable et sa promesse fidèle. Une fois qu'il l'a aimé, il ne cesse plus de venir en aide à l'homme, mais tantôt par l'amour, tantôt par la correction ou l'abandon, jusqu'à parfaire son salut.
L'homme ne doit donc pas bâtir sa relation à Dieu sur les affections et les sensations qu'il ressent, mais il doit plutôt dépasser par la foi le domaine du sensible.
La chair de l'homme convoite contre son esprit. Elle ne peut trouver son repos dans la prière, surtout la prière sincère, pure, offerte en esprit d'adoration véritable, car celle-ci implique le reniement de soi et la mort des passions, des convoitises et des fausses espérances... Aussi le corps invente-t-il mille prétextes pour échapper à la prière : il prétend être malade, défaillant, avoir mal à la tête, aux articulations, au dos, voir grand besoin de dormir. Si pourtant l'homme s'oblige à prier, le corps essaie d'abréger la prière. Si l'homme persévère à vouloir accomplir la prière jusqu'au bout, le corps essaie alors d'échapper au sens des mots : la langue s'embrouille, l'attention se relâche et divague par-ci ou par-là, la pensée l'appesantit. Le " moi " prend prétexte du corps pour échapper aux paroles de la prière, car elles impliquent sa mort. Il ressemble au serpent qui échappe à la musique du charmeur et s'empresse de se boucher les oreilles pour ne pas entendre sa voix, sachant qu'elle implique sa mort.
Cela, le Seigneur le sait ; aussi a-t-il recommandé de " prier toujours sans jamais se lasser " ( Luc 18, 1 Et il leur disait une parabole sur ce qu'il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager )
Ces graves symptômes n'apparaissent pas dans les prières pharisaïques, froides, accomplies pour recevoir la récompense des hommes, c'est-à-dire pour attirer leurs louanges ou leur admiration.
Au contraire, le corps s'accommode bien d'une telle prière ; il se lève tôt pour l'accomplir publiquement et n'éprouve aucune fatigue à se tenir debout de longues heures devant les hommes. Il élève la voix bien haut ; intelligence devient très attentive et lui fait prononcer les prières avec la contenance voulue, une netteté et une précision qui lui attirent l'admiration des assistants. Ce genre de prière est agréable au " moi " humain, car il comporte en lui-même une récompense charnelle : il mène à l'affirmation de soi au lieu du renoncement à soi, à la déification de soi au lieu de la mort à soi. Aussi le " moi " s'y complaît comme il aime amasser l'argent. Le corps ne s'en lasse jamais comme il ne se lasse point d'une bonne nourriture.
Sachant bien ce qu'il y a dans l'homme, le Seigneur a prévenu cela en disant: " (Matth 6, 6) Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret. " Ici, fermer la porte indique la nécessité de faire en sorte que la prière ne soit ni vue ni entendue des hommes, au moins dans l'intention et la conscience de celui qui prie.
L'ascèse du corps et l'ardeur de l'esprit
L'ascèse du corps avant et pendant la prière, est nécessaire pour que l'âme prenne son plein essor en une prière fervente. On parvient à cela par deux genres de démarches. Le premier est négatif: les prosternations nombreuses, le jeûne, le silence, le dépouillement et la simplicité du vêtement Le second est positif: il consiste à offrir au Christ, du fond du coeur, un amour sincère, exprimé par des paroles d'affection, de désir, par un dialogue du coeur qui n'a de cesse ni de jour ni de nuit, soutenu par une méditation attentive de ses paroles et des préceptes.
Cela veut dire que la ferveur de la prière est conditionnée à la fois par l'ascèse du corps et par l'ardeur de l'esprit. L'une des deux ne saurait suffire, car chacune active l'autre. L'ascèse du corps prépare l'ardeur de l’esprit et l'ardeur de l'esprit facilite l'ascèse du corps. Par ces deux démarches, la prière est mise à l'abri de l'acédie, de la lassitude, de la tiédeur spirituelle et de la dispersion de l'attention.
La prière et le temps
Le Christ est entré dans le monde par l'incarnation. Notre foi orthodoxe confesse l'unité de nature du Verbe incarné ', c'est-à-dire l'union parfaite qui s'est opérée en lui entre le divin et l'humain. Par conséquent, le Christ a uni en lui-même les actions humaines temporelles, le temps, à sa divinité éternelle. Tout ce que le Christ a pratiqué en sa chair comme la prière, les oeuvres de miséricorde et de compassion, ou encore les souffrances rédemptrices assumées sur la croix, tout cela a reçu en lui une dimension divine éternelle. Autrement dit, le temps s'est uni à l'éternité en la personne de Jésus-Christ.
S'unir au Christ par la prière, c'est en vérité glorifier le temps et le sanctifier, ou encore glorifier l'action humaine en tant que telle et la sanctifier, car c'est lui conférer, dans le Christ, une dimension divine éternelle. La prière authentique est un véritable " rachat du temps ", car elle transforme le temps mort en oeuvre divine éternelle.
Aussi l'accès à la prière véritable s'accompagne-t-il nécessairement d'un dégagement par rapport à la perception de la valeur humaine et matérielle du temps. Le mouvement de la montre doit faire place au mouvement de l'esprit. Dans la prière, l'esprit est appelé à enter en communion avec les esprits des saints dans l'éternité car en s'approchant du Christ, on s'approche nécessairement du Royaume des cieux.
La hâte dans la prière, comme aussi le sentiment de lassitude sont le signe qu'on se raccroche au temps matériel, vide des bénédictions de l'Esprit et des aspirations de l'éternité. Le sentiment du temps matériel, de l'importance des minutes, des heures et des actes humains temporels qui nous attendent après la prière, contribue à étouffer en nous l'Esprit et à nous empêcher de jouir du sentiment de l'éternité et d'y vivre pendant la prière.
De même, la hâte dans la prière et la lassitude suffisent pour ôter à la prière son véritable caractère spirituel. Elle est réduite alors à ne plus être qu'un des nombreux actes de la vie corporelle que l'homme pratique par sa pensée ou par son corps, comme rencontrer un supérieur, prononcer un discours ou prendre son repas. Aussi le Christ nous prévient-il : " il faut prier toujours sans jamais se lasser " Mieux vaut donc pour l'homme exprimer par l'esprit une prière calme, paisible, digne, qui dure cinq minutes, que prier une heure entière avec hâte, ou trois heures avec lassitude.
Le Christ écoute notre prière. Bien plus, il y prend part de façon effective. Sans le Christ, notre prière ne peut en aucune façon avoir accès auprès du Père. C'est par la mansuétude du Christ, son amour et son humilité que nous avançons avec assurance vers le Père, nous appuyant uniquement sur le sang divin versé pour notre réconciliation et notre justification. Le Christ est donc personnellement présent à notre prière; c'est lui qui la présente au Père par son propre mérite. La prière n'est donc pas une oeuvre unilatérale de la part de l'homme. Tout ce que nous disons dans la prière n'a pas de valeur si le Christ ne dit pas " Amen " , c'est-à-dire s'il ne l'appuie pas par son propre mérite auprès du Père, soutenant notre faiblesse et intercédant pour nos fautes.
Aussi l'homme doit-il être conscient, durant la prière, de cette participation effective du Christ. Il n'est donc pas libre de commencer, de continuer ou de terminer sa prière à son gré. C'est à la suite du Christ qu'il s'y présente, par sa bouche qu'il supplie, par son sang qu'il reprend courage, par sa justice qu'il espère être exaucé et par son amour qu'il interpelle le Père comme son bien-aimé, par l'Esprit du Fils.
L'Esprit Saint crie en notre coeur
L'Esprit Saint sait quelles sont les demandes opportunes et agréables au Christ et au Père. A lui seul il revient de guider notre prière, d'en déterminer la durée et le temps convenable et de nous y exhorter. C'est lui qui nous inspire les paroles et qui infuse en nos coeurs l'ardeur spirituelle et le zèle. C'est lui qui nous pénètre d'affliction et nous fait prier avec cris et larmes, d'un coeur brisé, comme si lui-même avait besoin de la miséricorde du Père et de la médiation du Christ. Aussi est-ce par " des gémissements inexprimables " (Rom. 8, 26) qu'il crie en nos coeurs vers le Père et vers le Christ, c'est-à-dire par des gémissements puissants et sincères que l'homme ne peut traduire en paroles car ils surpassent l'intelligence par leur ferveur, leur profondeur et leur authenticité.
Se confier à l'Esprit Saint équivaut donc à prier en permanence sans se lasser, car il donne la puissance de persévérer dans la prière avec ferveur, debout, agenouillé ou prosterné, sans être rassasié.
L'Esprit Saint connaît les besoins spirituels de l'homme et il sait quelles sont ses possibilités matérielles quant au temps. Aussi, à l'homme pieux qui a la crainte de Dieu accorde-t-il la plénitude de la prière et sa durée, en sorte que son âme soit pleinement rassasiée, sans pour autant que ses diverses tâches et responsabilités s'en ressentent. Dans le plus court laps de temps, il lui accorde les grâces les plus riches et les plus précieuses, et il lui fait terminer la prière au moment opportun.
Si, par contre, la prière n'est pas guidée par l'Esprit Saint, l'homme en sort sans être consolé, n'ayant pas la paix intérieure ni la joie du coeur, comme si sa prière n'était pas parvenue à l'oreille de Dieu.
Comment invoquer l'Esprit Saint ?
L'Esprit Saint est d'une simplicité extrême. Il répond tout de suite à l'appel de l'homme pour peu qu'on l'invoque d'un coeur sincère, plein de foi et de simplicité. Il suffit qu'on l'invite à venir simplement - comme on le ferait avec un enfant simple et innocent - pour qu'il écoute et réponde. Dans la Prière de Tierce, l'Eglise nous apprend à l'invoquer en ces termes : " Viens et daigne demeurer en nous " (Tropaire de Tierce, dont voici le texte entier : " Roi céleste et Consolateur, Esprit de Vérité, présent en tout lieu et remplissant tout, Trésor des dons excellents et Donateur de la Vie, Viens et daigne demeurer en nous, purifie-nous de toute souillure, ô Très Bon, et sauve nos âmes. ")
L'Esprit Saint vient dans le coeur plein d'une foi simple et confiante en la miséricorde de Dieu. La venue de L'Esprit Saint ne s'accompagne d'aucune sensation matérielle. Il ne trouve pas son repos au milieu des cris ou du désordre ni dans un coeur dur, injuste, rancunier, coléreux ou suffisant De même, il ne trouve pas de repos en l'homme " mondain", c'est-à-dire attaché aux choses de ce monde (Jac 4, 4 ; Jn 2, 15) , attiré par la beauté éphémère, ou ambitieux de la gloire de ce siècle.
L'Esprit Saint aime et encourage la prière du pauvre reconnaissant envers Dieu, comme celle du riche ami des pauvres. Il est le Consolateur des inférieurs opprimés et des supérieurs miséricordieux, la Lumière des affligés et la Vie de eux qui se dépensent pour le service de l'Evangile et pour l'amour des petits et des humbles.
Aussi est-il nécessaire à quiconque désire prier d'apprendre tout d'abord à se rendre agréable à l'Esprit Saint, en évitant tout ce qui peut contrarier la douceur, la sainteté et la charité de l'Esprit. Autrement, sa prière serait privée de la seule puissance susceptible de l'élever et de la présenter à Dieu.
Il est également nécessaire à celui qui désire prier en la présence de Dieu d'avoir la pleine assurance d'être soutenu par l'Esprit Saint: n'est-ce pas lui qui nous a enfantés dans les fonts baptismaux ? Nous devons donc l'invoquer du fond du coeur, à de multiples reprises, et lui demander de nous disposer à la prière et de nous accorder la puissance de l'accomplir conformément au désir du Père et du Seigneur Jésus.
Notre prière concerne donc l'Esprit Saint autant et même plus qu'elle ne nous concerne nous-mêmes; car c'est par la prière que se développe l'homme Nouveau engendré en nous par l'Esprit Saint; c'est par la prière qu'il reçoit la lumière divine, qu'il reconnaît la volonté de Dieu et qu'il apprend à la mettre en pratique avec l'aide de la grâce.
La prière véritable, dans laquelle nous avons accès auprès de Dieu et nous parlons en sa présence, n'est pas un simple acte humain. Elle est essentiellement une invitation divine à laquelle nous ne faisons que répondre. Dieu est toujours et en tout temps disposé à nous recevoir et il ne cesse de nous inviter à venir vers lui: " Tout le jour j'ai tendu les mains (Rom. 10, 21) "... " Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai (Matth. 11, 28) ". " Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors (Jn 6, 37) ". Car Dieu se réjouit de m'avoir auprès de lui; et si possible de façon permanente.
Lorsque nous nous tenons devant Dieu, en sa présence, nous réalisons en fait le retour de la créature exilée vers le sein de son Créateur, à l'instar du retour d'Adam au Paradis. Aussi la prière est-elle, en soi, une réparation des longues heures passées loin de Dieu parmi les préoccupations de la terre et les soucis de la vie temporelle (Luc 21,37). En soi, la prière représente un retour à Dieu, une véritable conversion. Dieu, autrefois, a chassé Adam de sa présence, et le voici maintenant qui nous appelle sans cesse, " tout le jour", à entrer en sa présence et à rester avec lui. Une fois que nous sommes entrés auprès de lui par la prière, Dieu désire que nous ne ressortions plus jamais. Aussi la prière véritable, qui a réussi à répondre au désir bienveillant de Dieu doit-elle continuer secrètement au fond du coeur, par un échange sans paroles, après que nous ayons quitté le lieu de la prière. Nous allons alors à nos diverses occupations, tandis que la prière ne cesse de continuer son travail secret à l'intérieur de nos coeurs.
Nos soucis : comment les présenter dans la prière ?
La prière n'est pas l'occasion de demander à Dieu ce qui importe à la chair (Rom. 8, 7 ; Jac 4, 3), ce qui nous fournit le bien-être, facilite nos travaux et favorise nos responsabilités temporelles. La prière est l'occasion pour l'esprit d'accéder au Royaume. Elle est la fenêtre rayonnante par laquelle nous contemplons déjà la Vie éternelle, vers laquelle nous serons emportés, après avoir remis ce corps à la poussière, tandis que tous nos travaux et nos responsabilités seront terminés à tout jamais. Tout ce qui nous préoccupe sur la terre est éphémère; mais la prière, elle, n'est pas éphémère. Toute minute passée dans la prière vient de l'éternité et y retourne. Nous devons donc, dans la prière, présenter, nos soucis dans une perspective spirituelle. C'est-à-dire que tous nos besoins matériels, nos activités, nos responsabilités et nos préoccupations doivent être présentés à Dieu, dans la prière, afin qu'il les dépouille de leur forme mortelle, éphémère, et qu'il les revête d'un caractère divin en les rendant conformes à son dessein bienveillant et qu'ainsi ils soient sanctifiés. Nous ne demandons pas dans la prière que nos travaux soient prospères, que nos responsabilités réussissent et s'étendent pour en retirer une gloire terrestre, un renom ou la tranquillité et le bien-être matériels. Mais ce que nous demandons plutôt à Dieu dans la prière, c'est qu'il purifie nos travaux de l'esprit d'égoïsme et d'amour-propre, c'est-à-dire de ce qui fait la gloire du " moi " humain, qu'il nous inspire rectitude de la pensée et du coeur, afin que, dans nos travaux, nous n'usions pas de malice, de duplicité, de malhonnêteté, de fraude ni de mensonge; qu'il nous accorde la puissance spirituelle de ne pas craindre les menaces, de ne pas nous esquiver devant les dangers, de ne pas faire acception des personnes et ne pas nous lamenter quand nous sommes atteints par la perte ou l'injustice. Nous lui demandons de nous faire estimer les valeurs spirituelles au-dessus de toute activité et de toute responsabilité, de sorte que nous prenions la défense de l'innocent, que nous fassions l'éloge de la rectitude et de l'intégrité, que nous donnions avec générosité et que nous tenions à conserver la patience et la charité plus qu'à tout intérêt matériel.
La prière devient ainsi l'occasion de transformer les désirs de la chair en désir de l'esprit, et le moyen de purifier nos oeuvres, nos pensées et nos intentions des scories du péché.
Nos activités temporelles seront ainsi sanctifiées, et, quelque humbles et communes qu'elles soient, elles deviendront dignes d'être offertes à Dieu au même titre que les plus nobles services religieux.
La prière fréquente transforme l'homme au plus profond de son être
La prière fréquente à laquelle on s'adonne aux diverses heures du jour et de la nuit auxquelles l'Église nous invite à prier, comme aussi chaque fois que l'on se sent poussé par l'Esprit Saint à prier, à temps et à contre-temps, est un moyen des plus efficaces pour "nous transformer par le renouvelle-ment de notre jugement ". Cette vérité est manifesté aux enfants du Christ, initiés a son mystère. Lorsqu'on prie souvent, de jour et de nuit, une vingtaine, une trentaine de fois, chaque fois que l'Esprit nous inspire des paroles d'amour, ne serait-ce que pendant cinq minutes ou même une seule minute, cette prière assidue opère au plus profond de notre mentalité, de notre coeur, de notre caractère et de notre comportement, un changement fondamental. De celui-ci, nous ne prenons pas facilement conscience nous-mêmes, mais toute personne qui nous est proche peut aisément le remarquer.
Lorsqu'on regarde le Christ avec persévérance dans la prière, son image mystique et invisible s'imprime secrète-ment en notre être intérieur. Nous recevons alors ses qualités, c'est-à-dire le reflet de sa bonté et de sa douceur infinie, et la lumière de sa face.
C'est à propos de cette transformation que saint Paul dit : « Mes petits enfants, vous que j'enfante dans la douleur jusqu'à ce que Le Christ soit formé en vous ».
La fréquence de nos entretiens avec le Christ dans la prière fait que son image sublime s'imprime secrètement en nous sans que nous nous en doutions. - Et nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, toujours plus glorieuse, comme il convient à l'action du Seigneur qui est Esprit
Ce phénomène a son correspondant dans le monde matériel. Quand on expose un corps inerte à l'action d'un corps radio-actif, il reçoit de sa radio-activité à proportion du temps d'exposition. Combien plus serons-nous influencés, nous qui nous approchons de la source de toute lumière qui ait jamais existé dans le monde, et de toute énergie qui ait jamais animé tant les corps célestes que les corps terrestres, Jésus-Christ, Lumière du Père et Lumière du monde!
Le Christ lui-même nous exhorte à nous tenir toujours près de lui. De peur que les ténèbres du monde ne nous atteignent, qu'elles ne rendent aveugle notre intelligence, et qu'ainsi nous cessions de reconnaître la Vérité divine : Mar-chez tant que vous avez la lumière de peur que les ténèbres ne vous atteignent. Je suis la Lumière du monde; qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie.
Ceux qui négligent délibérément la prière s'éloignent malgré eux de la vérité. Ils marchent sur les bords du gouffre, sur les limites de l'incrédulité, c'est-à-dire des ténèbres ex-extérieures. Ils s'exposent à blasphémer sans s'en rendre compte. La moindre épreuve peut les précipiter dans le gouffre du désespoir et de l'inimitié contre Dieu.
Le contraire est aussi vrai. Ceux qui sont assidus à la prière fervente acquièrent une foi plus ferme que les montagnes. Et cela, sans affectation, sans s'en vanter par de vaines paroles. Leur vie, leur comportement attestent cette vérité. Leur patience, leur joie au milieu des épreuves, leur endurance face aux souffrances et à l'injustice sont autant de signes qui témoignent de la solidité de leur foi. Ceux-là ne seront pas atteints par les ténèbres, selon la promesse du Seigneur.
La fréquence de la prière exerce donc, au plus pro-fond de l'homme, une action divine qui l'amène finalement à recevoir la puissance de la grâce. C'est là le début de l'union mystique permanente avec Seigneur.
La prière de communion, d'union au Seigneur
La prière, dans ses débuts, est la porte par laquelle nous accédons au Seigneur et par laquelle le Seigneur vient vers nous pour éveiller et corriger notre conscience, et pour nous exhorter à le recevoir en notre vie, et à nous attacher à lui à jamais pour une vie éternelle.
Aussi, dans ses débuts, la prière exige-t-elle un effort soutenu contre la nature de la chair et du - moi - terrestres qui désirent ne rien perdre des plaisirs de ce monde en vue d'une autre vie qui ne profitera en rien à la chair ni au " moi ".
Si la prière persévère et qu'elle parvient à soumettre à l'esprit la nature de la chair, de sorte que toute tentative, de la part de celle-ci, de s'esquiver, de se dérober par paresse, de différer ou de résister à l'appel de l'Esprit, Soit complètement brisée par la prière, cela témoigne assurément de la victoire de l'esprit et de l'entière domination de Dieu sur l'âme. La prière devient alors le signe évident que s'est réalisée avec succès une participation au Seigneur et le début d'une union à lui, au plan de sa volonté, de son désir et de son obéissance totale au Père. Et cela se manifeste par un amour qui méprise les souffrances jusqu'à la mort.
La prière de communion ou d'union au Seigneur ne fait pas partie des oeuvres de ce siècle. Le temps qu'on y sacre ne fait pas partie des heures de ce siècle. Ce sont des éclats fugitifs, au cours desquels l'homme jouit déjà du Royaume de Dieu par anticipation. Il ressent intérieurement de façon certaine la présence spirituelle du Seigneur Jésus, comme une Vie éternelle qui se déverse en tout son être, et une Lumière qui luit au milieu des ténèbres, les ténèbres des passions, des tentations du monde, de la méchanceté de l'homme et de l'empire du démon.
De tels moments spirituels sont en réalité l'heure divine dont le Seigneur a dit L'heure vient - et nous y sommes - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et ceux qui l'auront entendue vivront'. - En disant - L'heure vient -, il indiquait le temps eschatologique de l'éternité, où se trouvent conservées pour nous les grâces éternelles de Dieu, c'est-à-dire la Vie éternelle dont nous sépare actuellement le voile obscur du péché. En ajoutant. Et nous y sommes -, il indique clairement que, durant la prière, la Vie éternelle perce ce voile et envahit notre existence temporelle la lumière du Christ se déverse dans le coeur de celui qui prie, en dépit du monde, de l'esprit des ténèbres et de l'opposition de la chair.
Telle est en vérité la prière de la résurrection, la prière de l'éternité, signifiée par - l'heure du Christ, et pratiquée par ses enfants, initiés à son mystère, par ceux qui, lorsqu'ils entendent sa voix, n'endurcissent pas leur coeur, mais se lèvent tout de suite pour la prière et la louange, en tout temps, sans se lasser.
La prière est plus puissante que le péché
La prière est plus puissante que le péché. Le péché détruit les forces physiques et morales de l'homme, mais il ne peut détruire la puissance de la miséricorde et de l'amour de Dieu. - Dieu est plus fort que les hommes -. - Dieu continue toujours à aimer l'homme, avant, pendant et après le péché.
La prière, en tant que relation entre l'homme et Dieu, nous met en relation avec sa miséricorde qui remet les fautes les plus graves. En soi, la prière est une manifestation de re-mentir et de retour à Dieu. Dieu est toujours disposé à accueillir ceux qui reviennent à lui, car il ne désire pas la mort du pécheur, mais il désire qu'il se convertisse et qu'il vive.
S'il est vrai que le péché détruit une grande partie de la force que l'homme a acquise par la prière, il ne peut toutefois venir à bout de tout ce que l'homme a obtenu dans la prière. Si, après avoir prié, nous succombons, quel que Soit le genre de notre péché, nous conservons toujours en nous un reste de la puissance acquise par la prière. Et cette puissance finit par reprendre le dessus. Après les plus grandes fautes, il reste toujours dans le coeur de l'homme et dans sa conscience un fond de puissance spirituelle, qui s'est formé en lui par la prière offerte à Dieu avec un coeur sincère et une conscience qui refuse le péché.
Par la prière assidue, l'homme acquiert petit à petit un trésor de puissance spirituelle qui finalement parvient, non seulement à annuler tout péché, mais à purifier la conscience du sentiment pénible causé par le péché. La joie de la rémission et du salut vient remplacer l'affliction et la douleur causées par le péché. La prière s'avère être la pleine guérison de l'âme.
Mais cela ne s'accomplit pas en un jour, ni même en une année. C'est au cours de longues années que la prière réa-lise son oeuvre de maturation, lente mais continue, en vue de détruire le désir du péché et de laver progressivement la conscience. Lorsque la vie de prière est suffisamment mûre, la lumière du salut commence à briller d'une façon intense et inattendue à l'intérieur de l'âme, avec une joie indicible qui s'étend à tout l'être intérieur de l'homme. Cette lumière intérieure, qui n'apparaît que tardivement et qui semble être sou-daine, est en réalité l'oeuvre de longues années, le fruit de milliers de prières.
La prière, échange d'amour avec Dieu
La prière, quel qu'en soit l'aspect d'affliction et de componction, et quel que Soit le sentiment que l'homme a de sa médiocrité et de son indignité à s'entretenir avec Dieu, à cause de ses fautes et de ses nombreux péchés, la prière est, au-dessus de tout cela, l'expression d'un am9ur profond échangé entre Dieu et l'homme : l'amour de Dieu s'y est manifesté en attirant le coeur de l'homme à prier en sa présence, et l'amour de l'homme a consisté à présenter à Dieu son coeur, ne serait-ce que sous cet aspect d'affliction et de componction.
La prière est une manifestation d'amour, timide en ses débuts, de sorte que l'homme n'arrive pas à l'exprimer par des paroles d'amour, mais plutôt par des paroles de regret, de repentir et de contrition. La maturité de la prière est le signe manifeste de la maturité de l'amour. L'homme ne trouve plus de difficulté à exprimer son amour par des paroles d'amour.
Dieu est amour, tout amour. Il est l'origine et la source de tout amour. Si le coeur de l'homme ne s'ouvre pas à l'amour divin, il reste éloigné de Dieu, privé des faveurs de sa nature rayonnante.
Lorsque le coeur de l'homme est touché par l'amour divin, le premier signe en est une aspiration à se diriger vers Dieu pour s'entretenir avec lui; c'est justement cela la prière. La prière est donc la première manifestation de l'effusion de l'amour divin dans le coeur de l'homme.
S'il est vrai qu'au début de son expérience de la prière l'homme est porté surtout à accuser son péché, la raison en est que l'amour divin - qui a invité et attiré le coeur à la prière - est un amour extrêmement pur, qui ne peut s'accommoder du péché. Aussi le premier effet de cet amour est-il une prière de repentir et de conversion en vue de purifier le coeur pour le préparer à l'échange d'amour avec Dieu. La prière de componction et d'affliction qui broie le coeur est donc à la fois un premier effet de l'amour divin et une préparation du coeur à recevoir le Bien-aimé en personne.
Jésus-Christ, dans l'Évangile, nous exhorte à nous convertir pour être dignes du Royaume des cieux. Dans la prière, à cause de la présence du Christ en personne, le Royaume des cieux devient très proche de nous. Aussi l'aspiration à se convertir augmente-t-elle durant la prière, au point que l'homme devienne disposé à tout sacrifier, jusqu'à sa propre vie, en réparation de ses péchés. Le mobile mystérieux de cela est la puissance d'amour que le Christ répand secrètement en notre coeur durant la prière. Cette puissance d'amour a le pouvoir de raviver à l'extrême l'ardeur de notre prière. Aussi le Cantique dit-il avec raison que l'amour est fort comme la mort
La prière est l'occasion pour Dieu de répandre son Esprit d'amour dans le coeur de l'homme. Une fois répandu, cet Esprit agit dans le coeur et y produit ses multiples effets il commence par dévoiler le péché, en second lieu il le con-damne, et enfin il le remet. En recevant ces effets de l'Esprit durant la prière, l'homme reçoit l'amour divin. La prière est le moyen d'acquérir l'Esprit d'amour et de se soumettre à son action purifiante.
La prière, acte d'obéissance
Cette soumission à l'Esprit d'amour et à son action purifiante à l'intérieur du coeur durant la prière est la première et la plus importante manifestation d'obéissance à Dieu, d'obéissance à son amour. La docilité rapide de l'homme au premier appel à la prière qu'il ressent en son coeur représente en réalité sa réponse généreuse à la voix de l'amour divin par une obéissance empressée : l'amour invite l'homme à la prière et le coeur obéit à cet appel. Le critère de sincérité de la prière, en tant qu'obéissance à cet appel d'amour, est qu'elle soit entrecoupée de sentiments de repentir et de conversion pour tout péché commis, quelque insignifiant qu'il soit, car la conversion est le premier effet de l'amour divin.
La prière sincère est en soi un acte d'obéissance à Dieu. L'assiduité à la prière, l'empressement à observer les temps qui lui sont consacrés et toutes ses exigences, représente justement la fidélité de l'obéissance à Dieu.
L'homme qui s'efforce chaque jour de prier avec plus de fidélité est justement celui qui est le plus fidèle en son obéissance à Dieu.
La prière, école d'obéissance
Celui qui désire apprendre à obéir à la voix de Dieu, pratiquement dans sa vie, doit commencer par une prompte docilité à l'Esprit de la prière, dès que l'appel de Dieu se fait entendre en son coeur. Par cela, l'obéissance à Dieu devient aisée pour lui, même dans les circonstances les plus dures et les plus difficiles.
Celui qui n'a pas appris, tout d'abord, à obéir à Dieu par la prière continuelle, ne peut, dans les circonstances difficiles, improviser une obéissance prompte, facile et sereine.
L'obéissance à Dieu par la prière du coeur continuelle donne à l'esprit l'occasion de devenir plus fort que la chair et de l'emporter sur les tentations, les plaisirs et les sollicitations de la chair. Petit à petit, la chair perd toute son emprise sur l'homme et celui-ci devient immanquablement docile à l'appel divin.
Celui qui n'apprend pas à être docile à Dieu par la prière peut s'imaginer pouvoir obéir en toute occasion; mais dès que survient l'appel de Dieu au don de soi et au sacrifice, il se trouve pris au dépourvu devant la rébellion de la chair qui se cabre et présente mille faux prétextes pour échapper à l'appel de Dieu; en définitive, l'homme est réduit à se sou-mettre à la chair en perdant la grâce; il se retire tout triste, la tête basse.
L'obéissance à Dieu est une des exigences les plus difficiles de la relation entre l'homme et Dieu. Des prophètes et des saints parmi les plus grands y ont parfois trouvé une occasion de chute. Mais celui qui s'exerce chaque jour par la prière à se soumettre à la voix de Dieu parvient aisément à acquérir l'esprit d'obéissance avec une spontanéité sereine. Car, par la prière, il acquiert progressivement l'esprit d'abandon, c'est-à-dire la disposition à confier sa vie entière à la direction de Dieu et au dessein de sa grâce. L'obéissance devient ainsi une partie intégrante de sa pensée, de ses sentiments et de sa volonté, et cela transparaît dans son comportement.
Le Christ lui-même, a-t-on dit, a appris l'obéissance. Lui, le Fils de Dieu, le Seigneur de la gloire Tout Fils qu'il était, il apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance
Par la prière, l'homme acquiert, avons-nous dit, l'esprit d'abandon à Dieu. Désirant le rendre parfait dans l'obéissance, Dieu le soumet à la souffrance. En acceptant la souffrance à laquelle Dieu l'expose, l'homme manifeste la plénitude de son obéissance à Dieu, et ceci est le signe de l'achèvement de son salut. Le Christ, tout Fils qu'il était, apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance; après avoir été rendu parfait, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel. La prière est le moyen d'acquérir l'esprit obéissance et d'abandon à Dieu. La souffrance acceptée avec joie est la perfection de l'obéissance; et cela est le fruit de la prière.
L'homme qui aime la prière et qui s'y adonne avec fidélité est celui qui peut accepter la souffrance avec amour. Mais celui qui hait la prière hait aussi nécessairement la souffrance Il montre par là qu'il est tout à fait étranger à l'esprit d'obéissance, et aussi, par conséquent, à l'amour divin, et qu'il est insensible aux avances de cet amour.
La prière, capacité d'abandon à la volonté divine
L'esprit d'abandon que nous recevons durant la prière est en fait une abdication de la volonté propre. Aussi n'y par-vient-on pas facilement, mais au terme d'un long conflit entre le moi humain avec ses fausses espérances - religieuses autant que temporelles - et la volonté divine qui ne désire que le salut de l'homme. La volonté propre - le moi - n'est détruite qu'au moyen de multiples contrariétés envoyées par Dieu pour déranger la fausse quiétude du moi. et détruire les monuments d'illusion qu'il élève à sa propre gloire devant les hommes.
Durant ce conflit, si l'homme cesse de prier, il perd son attachement et sa soumission à la volonté divine et cesse de discerner le but du combat et de la vie spirituelle, qui n'est autre que son propre salut. Il prend alors le parti de sa volonté propre, de son moi, et commence à murmurer contre les épreuves que Dieu lui envoie pour son salut. Il refuse les contrariétés et les outrages que Dieu, en sa sagesse suprême et sa providence, dispose pour lui, en vue de le libérer de la vaine gloire. Il y trouve le comble de l'amertume, au point de souhaiter plutôt mourir que se voir ainsi outragé devant les hommes et le monde, car son moi prend plus d'envergure à ses yeux que Dieu lui-même, le maître de la vie !
Quant à l'homme qui trouve son refuge dans la prière et s'y attache, il voit dans les souffrances, les contrariétés et les outrages une condescendance de Dieu, qui daigne intervenir dans sa vie pour le corriger et achever en lui le miracle de l'humilité. Par la persévérance dans la prière, l'homme reçoit finalement l'esprit d'abandon et de soumission à la volonté divine; la grâce éclaire son intelligence pour lui faire voir combien son salut dépendait en fait de la façon dont il allait accepter les souffrances, les contrariétés, les maladies et toute humiliation. De plus en plus, il se range du côté de la volonté divine, jusqu'à l'entière soumission de sa propre volonté, la suppression de son désir propre. Tout son bonheur consiste désormais à accomplir la volonté de Dieu ; il y trouve son plus grand plaisir, même dans les circonstances les plus pénibles.
La prière confère donc à l'homme la capacité d'adhérer à la volonté de Dieu et de s'abandonner à lui avec joie.
Le sacrifice, plénitude de l'obéissance
Le progrès de la prière entraîne le progrès de obéissance La plénitude de l'obéissance est elle-même la plénitude de l'amour. Lorsque le coeur devient sensible à l'amour du Christ, qu'il en est touché et qu'il y répond avec docilité, il devient digne d'être initié à son mystère. Le mystère de l'amour du Christ, c'est le sacrifice.
Autrement dit, lorsque l'homme aime la prière et qu'il y trouve son équilibre spirituel, il entre en communion spirituelle avec le Christ; il commence à compatir avec lui à la dé-tresse des pécheurs, des opprimés et des pauvres; son coeur devient semblable à celui du Christ.
La prière permanente et fidèle comporte onc une communion réelle à la vie du Christ et une participation à sa mission essentielle.
Celui qui est assidu à la prière ne tarde pas à recevoir en son coeur le feu du Christ et sa mission propre, c'est-à-dire le désir ardent du salut des hommes, l'amour des pécheurs, le don de soi pour soulager les autres, l'appauvrissement volontaire pour enrichir les âmes et le choix généreux de la croix comme signe d'amour authentique.
La prière commence donc par une rencontre du Christ, puis on l'aime, on entre en communion avec lui, et enfin on participe effectivement à sa vie et à sa croix.
Celui qui désire adopter la mission du Christ, annoncer ses souffrances et sa croix, doit donc commencer par s'adonner à la prière de tout son coeur, afin de se pénétrer de la volonté du Christ avant d'embrasser sa mission.
IV- LA PRIÈRE POUR LES AUTRES
Lorsque nous ressentons en nous la joie de la communion au Christ durant la prière, et que nous sommes jugés dignes de porter sa croix, cela ne veut pas dire que la prière soit parvenue a son terme. C'est au contraire pour nous une invitation à commencer a nous initier au mystère de la prière qui dépasse l'entendement humain nous découvrons que nos prières deviennent pour les autres une source de puissance spirituelle.
Celui a qui le Christ confie les secrets de son coeur et de sa mission envers les pécheurs, reçoit de lui la puissance d'achever son oeuvre et de vivre son amour.
Celui qui aime les pécheurs comme le Christ les aime, qui compatit à la souffrance des pauvres et des malades, et qui est disposé a se dépenser pour eux, est justement celui qui est capable de prier pour eux et d'obtenir leur guérison, leur consolation et leur réconfort.
Lorsque la prière s'élève au niveau de l'amour divin par une obéissance assidue à l'Esprit et qu'elle s'épanouit en communion au Christ, elle devient alors puissante et efficace, au point d'être pour les autres une source d'assistance spirituelle, de réconfort et de consolation. Elle devient même capable d'obtenir pour les autres la rémission de leurs péchés. Car l'homme qui s'unit au Christ par la prière devient capable de se mettre a la place du pécheur, en étant disposé à prendre sur lui son péché et toute sa faiblesse, et a endurer a sa place toute correction et tout châtiment. Il devient alors par le fait même, en vertu de cette disposition et de son union au Christ, capable de demander pour les autres le pardon de leurs péchés et de l'obtenir
Ici, la prière commence à jouer un rôle des plus importants pour le salut des autres, pour le pardon de leurs péchés et la manifestation de la miséricorde divine en ceux qui sont loin de Dieu par indifférence ou par ignorance.
Elle devient ainsi le puissant appui de la prédication, la force mystérieuse qui prévient la Parole et prépare les cœurs à recevoir la rémission et le salut.
Un seul qui prie avec ferveur, dans sa chambre, dans le secret, peut causer, par son union au Christ, le salut de milliers de personnes.
Dieu emploie nos prières pour le salut des autres
Sachons donc que, lorsque Dieu nous attire à la prière, il ne prend pas uniquement en considération notre propre salut, mais il désire également employer nos prières pour le salut des autres. Aussi la prière est-elle une oeuvre des plus fondamentale et des plus précieuses aux yeux de Dieu. L'homme qui fait des efforts dans sa vie de prière et qui progresse rapidement dans l'esprit d'abandon et d'obéissance à la volonté de Dieu devient " un bon soldat du Christ Jésus (2 TIM. 2,3) ". Le Seigneur lui-même l'appelle tous les jours à se tenir en sa présence, et l'exerce à intercéder en faveur des autres jusqu'à être exaucé. Il recevra bientôt du Seigneur la puissance de sauver de nombreuses personnes et de les ra-mener de la voie de la mort vers le sein de Dieu.
Le progrès de notre vie de prière se traduit par l'intimité de notre amour envers Dieu. Cette intimité est la conséquence directe tant de la satisfaction que Dieu éprouve à notre égard dans de sa condescendance envers notre faiblesse que de l'ampleur de l'horizon de notre humanité, c'est-à-dire de l'acuité de la conscience que nous avons de notre devoir absolu envers les autres, de notre responsabilité spirituelle en-vers les pécheurs et ceux dont la foi ou la charité est défaillante, ceux qui souffrent ou sont opprimés, ceux qui prêchent et annoncent la Parole.
Les degrés supérieurs de la prière, dans lesquels elle s'élance vers la perfection, ont pour signe la supplication fer-vente avec larmes en faveur des autres. C'est comme si notre progrès dans la vie de prière nous était accordé en fait au profit de nos frères faibles qui ne savent pas prier. " Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris (Jac. 5, 16)".
Et lorsque saint Jacques nous enjoint d'appeler " les presbytres de l'Église " pour qu'ils prient sur le malade qui souffre, afin de le guérir, c'est parce que le prêtre est supposé être plus avancé que les autres hommes dans la vie de prière, y avoir reçu plus de grâces et avoir ainsi été mis à part pour se consacrer à prier pour les autres.
Nous ne pouvons progresser dans les degrés de la prière, acquérir une véritable assurance auprès de Dieu, ni re-recevoir le don des larmes que dans la mesure du progrès de notre compassion envers ceux qui souffrent et sont outragés (soit par les hommes, soit par le péché) : " Souvenez-vous des prisonniers comme si vous étiez emprisonnés avec eux et de ceux qui sont outragés, comme étant vous aussi dans un corps (Héb. 13, 13)".
Autrement dit, le progrès de notre intimité avec Dieu, qui a son centre dans la prière, dépend fondamentalement du progrès de notre connaissance des fardeaux des hommes et de notre disposition à les porter avec eux avec plus de générosité.
Notre communion au Christ et notre communion aux souffrances des hommes
Notre communion à la peine de ceux qui souffrent, qui sont malades ou outragés, et notre capacité à porter leurs fardeaux ne nous viennent pas d'une simple philanthropie humaine, d'une compassion passagère ou du désir d'être bien vus ou de recevoir des éloges ; car une telle compassion serait vouée à diminuer bien vite, puis à disparaître. Mais c'est par la prière persévérante, pure, sincère, que nous recevons ces sentiments, comme un don de Dieu qui nous rend capables, non seulement de persévérer dans cette communion avec les plus faibles, mais encore d'y progresser au point de ne plus pouvoir vivre sans eux (1 Thess. 3, 8), et de ne trouver de repos que dans le partage de leurs peines et de leurs souffrances. Le secret de ce charisme réside dans notre communion au Christ, dans notre participation à sa nature et à ses qualités divines, de sorte que ce soit lui désormais "qui opère en nous à la fois le vouloir et l'opération même (Phil 2,13)". Ainsi notre communion aux souffrances des hommes et notre communion au Christ dépendent fondamentalement l'une de l'autre au plus haut degré; de sorte que porter la croix du Christ signifie par le fait même prendre part à la croix des hommes, sans restriction, jusqu'au bout.
Lorsque diminue l'intimité de nos rapports avec le Christ dans la prière, cela indique qu'une grave maladie a atteint la prière en son essence même. Pour ceux qui agissent, qui servent les autres et prient pour eux, cela signifie une grande perte, un échec certain : ils commencent alors à s'attiédir, à se sentir las; c'est avec effort désormais qu'ils doivent remplir les devoirs qui leur étaient autrefois très chers; ensuite ils en viennent à les négliger et à vouloir s'évader, et finalement ils s'en abstiennent et se refusent. Car sans le Christ, il est impossible de continuer à servir les autres d'une action féconde, soutenue et efficace; et le Christ, on ne l'atteint que dans la prière.
La recherche de soi dans la prière souille la prière
La prière parvient à son degré de pureté authentique lorsque nous nous y oublions totalement, c'est-à-dire que, délibérément, nous cessons de nous intéresser à nous-mêmes et préférons nous occuper uniquement des besoins, des soucis et du salut des autres. Le degré de pureté parfaite de la prière est corrélatif du degré de l'amour parfait. Or, l'amour n'est vraiment authentique que lorsqu'il ne cherche pas son propre intérêt : "L'amour ne cherche pas ce qui est à lui (1 Cor. 13, 5). S'intéresser à soi, à ses propres besoins - tant spirituels que matériels - dénote une imperfection de l'amour, et par conséquent une imperfection de la prière. La cause en est l'imperfection de notre connaissance intérieure du Christ et de notre union à lui. Le Christ a dit : " Ce n'est pas ma volonté que je cherche... (Jn 5, 30)" " Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jn 15, 13)" " Qui aime sa vie la perd (Jn 12, 25)" " Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs (Matth. 5, 44)".
S'oublier soi-même dans la prière, c'est devenir ambassadeur du Christ
L'oubli de soi commence par un effort volontaire. Mais quand on y persévère avec sincérité devant Dieu, Dieu nous l'accorde comme un don gratuit. C'est alors spontané-ment que " nous ne recherchons plus chacun nos propres intérêts, mais plutôt que chacun songe à ceux des autres (Phil. 2, 4)".
Lorsque nous négligeons délibérément nos propres besoins dans la prière et que nous trouvons notre joie uniquement à demander, supplier et nous dépenser au profit des autres, alors Dieu lui-même commence à s'occuper de nous et à prendre en charge toute notre vie, tant au plan matériel qu'au plan spirituel, jusque dans les plus petits détails. Autrement dit, lorsque nous nous occupons des autres, Dieu s'occupe de nous; et lorsque nous limitons notre prière et notre supplication aux besoins des autres, Dieu comble nos besoins sans que nous le demandions.
C'est ainsi que se réalise, au moyen de la prière, le des-sein salutaire du Christ, au sujet duquel il dit à ses apôtres : " Allez, de toutes les nations faites des disciples (Matth. 28, 19)".
L'homme dont le coeur s'est ouvert à Dieu se suffit de Dieu et ne doit plus rien demander pour lui-même. Celui dont le coeur ne s'est pas encore ouvert à Dieu a besoin de cœurs amis qui s'épanchent devant Dieu en sa faveur, afin que Dieu l'exauce par la prière fervente de ses frères.
L'homme qui a connu Dieu et l'a aimé devient responsable devant Dieu de son frère dont le coeur ne s'est pas encore ouvert à Dieu. C'est ainsi que Dieu atteint les pécheurs égarés loin de lui, par la prière de ceux qui l'aiment et sont proches de lui.
Ceux qui ont aimé le Christ et qui lui sont fidèles de-viennent sur la terre de véritables ambassadeurs du Christ. Par leurs prières et leur disposition à se dépenser, ils réconcilient Dieu avec les hommes et les hommes avec Dieu : " Nous sommes donc en ambassade pour le Christ... Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu (2 Cor. 5, 20)".
Dans bien des cas, il devient impossible d'entrer en rapport avec les pécheurs et les égarés, soit ~ cause de leur hostilité, soit à cause de la honte qu'ils éprouvent à nous parler. Mais par la prière, nous dépassons ces obstacles qui nous séparent d'eux; nous surmontons leur hostilité et nous évitons leur honte; car par la prière, nous pouvons nous approcher secrètement de leur coeur, nous y glisser sans qu'ils le sachent et y gémir en nous identifiant à eux, comme Si nous-mêmes, nous étions pécheurs et égarés; tout cela avant même qu'ils ne nous connaissent et qu'ils ne nous parlent. Si donc, du fond de leur coeur, nous prions et crions vers Dieu en portant le poids de leurs fautes et de leur égarement, Dieu les entend à travers nous; malgré leur insoumission naturelle, le repentir assaille leur conscience et l'appel au retour se fait si pressant qu'ils se dirigent bien vite vers Dieu et vers nous en demandant notre aide.
La prière est une force d'attraction par laquelle l'homme attire son frère par l'intermédiaire de l'Esprit Saint; car c'est par l'Esprit que le Christ attire tout à lui (Jn 12, 32) et transforme en lui-même la dualité en unité (Eph. 2, 14).
Nous avons grand besoin qu'on prie pour nous
Ce ne sont pas seulement les pécheurs et les égarés qui ont besoin qu'on prie pour qu'ils se convertissent et reviennent à la connaissance de Dieu; mais nous aussi, vous et moi, nous avons grand besoin des prières des autres. Car trop souvent nous négligeons d'examiner notre conscience et nous y laissons traîner de graves fautes. Nous omettons de nous en accuser pendant de longues années, et elles contribuent à affaiblir notre vie spirituelle. A cause de cela, notre âme se trouve dépourvue de la puissance de Dieu et de l'action manifeste de la grâce. Nous parlons des péchés des hommes, nous prions pour les autres, tandis que le péché couve en nos membres, souille nos pensées et entretient nos passions. Nous avons le plus grand besoin qu'on prie pour nous avec ferveur afin que l'Esprit nous dévoile les péchés qui traînent et se cachent en notre coeur, et afin que notre conscience soit prise de repentir et se convertisse. Nous pourrons alors recevoir en nous la puissance de Dieu, et nos prières et toutes nos oeuvres seront ravivées par le dynamisme manifeste de la grâce. Les prières des autres, lorsqu'elles sont dirigées vers nous avec force et discernement, réveillent notre être intérieur. Elles deviennent comme des traits enflammés, étincelants, qui illuminent nos consciences et enflamment nos cœurs pour que nous cherchions la conversion et le salut. Les prières des autres, quand elles sont ferventes, deviennent pour l'homme de Dieu un facteur des plus importants pour rénover sa vie et acquérir plus d'énergie spirituelle. Même les saints, les prophètes et les apôtres avaient besoin des prières des autres. Sans la prière du Christ pour lui, saint Pierre aurait péri à tout jamais par son reniement et sa foi aurait défailli sans retour (Luc 22, 32). De même, n'était la prière sans relâche de l'Église pour lui, il aurait terminé sa vie en prison au temps d'Hérode (Act 12, 5). Saint Paul aussi avait une conscience aiguë de l'importance de la prière des autres pour qu'il lui soit donné " d'ouvrir la bouche", pour annoncer le message de l'Esprit et pour qu'il puisse persévérer dans son ministère. Aussi ne cessait-il jamais de demander à chaque Église de prier pour lui (Eph 6, 19 ; Col 4, 3 ; Rom 15, 30 ; etc).
Le saint, le prophète, l'apôtre ne peut donc se suffire de sa propre prière pour lui-même ou pour son ministère, mais il a vivement besoin que les autres prient pour lui, afin qu'il soit plus entièrement rempli de la puissance divine et que la grâce suscite en lui de nouvelles énergies.
C'est ainsi que la prière des autres devient, pour celui qui agit ou qui prêche, une source irremplaçable d'énergie spirituelle. Dans la mesure où les prières des autres pour lui se font plus ferventes, son action devi
La prière pour les autres est une grave responsabilité
- Au début, nous ressentons cette nécessité comme "un acte de fidélité", fidélité du serviteur envers son maître ou son créateur. On lui rend grâces, on le loue et on le glorifie en retour des bienfaits qu'on a reçus de lui. On sent que c'est de sa main qu'on reçoit et qu'on lui donne (Cf. 2 Chr. 29, 14). Aussi est-il grave de cesser de prier. Le serviteur peut-il cesser d'être fidèle et rester encore dans la maison ?
- Quand on progresse dans la prière, on perçoit mieux l'essence même de la prière en tant qu'elle exprime la relation vivifiante qui unit l'homme à son Seigneur. L'homme qui prie vit de la vie de Dieu, et celui qui néglige la prière ne vit plus que par lui-même et ne reçoit pas en lui les signes manifestes de la vie divine. Si donc dans ses débuts la prière exprime la "fidélité du serviteur", elle devient ensuite un "signe de vie éternelle ".
- Quand on continue à progresser dans la prière, on découvre une nouvelle dimension importante: la prière devient le canal par lequel passe la relation de l'homme avec ses frères. L'homme expérimente en effet que sa prière a commencé à devenir pour les autres aussi une source de vie et de puissance. "Quelqu'un voit-il son frère commettre un péché... qu'il prie et il lui donnera la vie (1 Jn 5, 16). "Celui donc qui prie pour les autres relève et fait revivre des âmes mortes ou qui étaient en voie de mourir, selon la parole du Seigneur : " Faites revivre les morts (Matth. 10, 8)"
Ici, la prière commence à devenir une "grave responsabilité"; car si, pour une raison quelconque, l'homme cesse de prier pour les pécheurs qui vivent autour de lui, et néglige de supplier en leur faveur, ils mourront dans leur péché. Ici la négligence dans la prière parvient à son comble et entraîne les plus graves conséquences. le pécheur meurt dans son péché faute d'avoir eu l'âme réveillée, ranimée par la prière des autres. Comment alors pourra se justifier celui qui aura négligé de prier pour lui et l'aura privé ainsi de la source de vie dont Dieu l'a rendu responsable ? Voyez-vous la gravité de la prière ?
Si donc la prière, au début de la vie spirituelle, semble être nécessaire, puis s'avère être, pour ceux qui y progressent, essentielle à la vie de l'esprit, elle devient finalement pour ceux qui ont été initiés au mystère de la prière pour les autres, une des plus graves responsabilités que Dieu ait jamais confiées aux hommes.
L'homme qui ressent la nécessité de la prière pour les pécheurs et qui néglige de prier pour eux, prend part à une faute grave et devient responsable de leur mort.
"Qui donc sait faire le bien et ne le fait pas se charge d'un péché (Jac. 4, 17)"
"Pour ma part, que je me garde de pécher contre le Seigneur en cessant de prier pour vous (1 Sam 12, 23)"
Celui qui a reçu la puissance de faire revivre un mort et ne le fait pas vivre devient responsable de sa mort. La prière est une capacité de ramener de la mort à la vie, puisque le péché est la mort de l'âme et la prière le moyen d'obtenir la rémission du péché.
"La prière de la foi sauvera le malade et le Seigneur le relèvera. S'il a commis des péchés, ils lui seront remis (Jac. 5, 15)"
Nous sommes donc appelés à prier pour les pécheurs, non seulement pour les sauver de la mort du péché, mais encore pour ne pas mourir nous-mêmes à leur suite. La prière que nous élevons pour eux, avec insistance, supplication et larmes, nous libère de la responsabilité de leur sang et nous évite de mourir à cause d'eux (Ez 3, 19 ; 33, 1-9).
C'est ainsi que la prière d'intercession pour les pécheurs augmente la proportion des membres actifs dans la famille humaine, et cela en rendant l'homme responsable du salut de son frère. "Fils d'homme, je t'ai établi guetteur pour la maison d'Israël (Ez 3, 17). C'est ainsi que l'homme qui épanche son âme dans la prière pour les pécheurs est établi apôtre du message de salut pour toutes les catégories de pécheurs, proches ou éloignés de lui, qu'il a rencontrés durant sa vie ou qu'il n'a jamais connus. "Allez, de toutes les nations faites des disciples (Matth. 28, 19)"
Par la prière, l'homme devient prêtre, en ce sens qu'il devient responsable du salut des autres et capable - dans l'amour, le don de soi et la participation au sacrifice et au sacerdoce du Christ - de les libérer de la condamnation à mort que leur valait leur péché.
En se chargeant de leur péché, en gémissant du fond du coeur sous son poids et en faisant pénitence, il devient capable, se faisant pécheur à leur place, de demander leur pardon et de l'obtenir pour eux.
"Voyant leur foi, Jésus dit au paralytique: "Confiance, mon enfant, tes péchés te sont remis" (Matth. 9, 2).
(Par "être spirituel", l'auteur entend aussi le chrétien devenu "spirituel" (cf. Cor. 8, 9 ; Rom 8, 9) que les êtres incorporels du monde angélique : chérubins, séraphins, etc. (Note du traducteur)
La prière de louange, d'adoration et de contemplation du visage glorieux du Christ (cf. Cor. 4, 6)
La prière est l'occasion de découvrir les qualités et la vie même de Dieu.
"Le Seigneur est avec vous tant que vous êtes avec lui. Si vous le cherchez, il se laisse trouver par vous; mais si vous l'abandonnez, il vous abandonne (II Chr. 15, 2)."
"C'est là ce que le Seigneur a déclaré : "en mes proches Je montre ma sainteté (Lév. 10, 3). "
"Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai et me manifesterai a lui (Jn 14, 21). "
Aussi, lorsque le coeur de l'homme s'intéresse aux qualités transcendantes de Dieu et s'approche de lui par la prière, il commence à goûter la saveur divine. Chaque fois qu'une nouvelle qualité divine lui est révélée, il en reçoit quelque chose ; car Dieu ne se manifeste pas à l'homme par une connaissance théorique, mais par la communication mystérieuse d'une puissance divine.
Durant la prière, Dieu dégage le coeur de l'homme du voile épais de la raison humaine, et lui révèle son dessein, son économie par laquelle il conduit la création entière et la vie même de l'homme à travers les événements divers et la succession des années. L'homme en reçoit alors une claire perception des qualités de Dieu, mais par une intuition intérieure accompagnée d'une communication de puissance. Il goûte alors Dieu et le savoure, comme on savoure un rayon de miel.
Si le miel périssable a la propriété de ranimer nos corps, combien plus Dieu n'enflammerait-il pas notre être intérieur ? Nous sentons alors le feu de Dieu brûler en nous, tantôt pour nous purifier, tantôt pour nous consoler et nous réjouir; tantôt pour susciter en nous un ardent désir du Royaume et tantôt pour nous pousser à l'action et au don de nous-mêmes. Mais quels que soient les sentiments suscités en nous par le feu divin, la prière de celui qui en a reçu l'expérience s'élève toujours a un degré suprême de louange et de glorification des qualités indicibles de Dieu. Ni la langue, ni l'intelligence, ni le corps de l'homme ne se fatiguent de louer et d'exalter le Nom de Dieu et ses qualités. Cette prière enflammée qui se limite a louer et glorifier les vertus divines est conforme a la prière des chérubins. On sait que les chérubins sont "pleins d'yeux" (Ez. 10, 12), comme signe de la contemplation très intense avec laquelle ils perçoivent la nature de Dieu. Mais cette perception de la nature divine ne s'opère pas en eux par la raison, à un plan théorique, mais par une communication de puissance. Aussi est-il dit également qu'ils sont "enflammés de feu " (Ez. 1, 13), pour signifier qu'ils sont vivement influencés par la nature de Dieu. La relation entre les deux expressions pleins d'yeux et enflammés de feu est une relation fondamentale dans la création spirituelle (Par création spirituelle, l'auteur signifie tant le monde angélique que la création nouvelle " si quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle. (II Cor. 5, 17)). (Note du traducteur), car la claire perception de Dieu dans la prière conduit nécessairement a une certaine participation de la nature ignée de Dieu.
"Notre Dieu est un feu dévorant (Héb. 12, 29)". " Il fait de ses anges des vents, de ses serviteurs une flamme ardente (Héb. 1, 7)".
Nous savons par ailleurs que la prière des chérubins et des séraphins consiste à crier avec des voix infatigables et des lèvres qui ne se relâchent point, et à répéter sans cesse à la louange et à la gloire de Dieu, saint, saint, saint... (Is. 6, 3 ; Apoc. 4, 8)". Car la nature de Dieu est extrêmement glorieuse et il devient impossible à toute créature qui en a perçu la gloire de cesser de la louer, ne serait-ce qu'un instant.
Aussi, lorsque nous portons nos regards avec amour, à maintes reprises durant la prière, vers la face de Jésus-Christ, sans avoir d'autre but que d'aimer Dieu et de lui rendre gloire, alors nos âmes se trouvent dégagées du voile épais de la raison, et nous saisissons la gloire de la nature divine dans le Christ. "Dieu a brillé en nos coeurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ (II Cor. 4, 6)." Nous accédons par le fait même à la prière d'adoration des êtres spirituels.
C'est ainsi que, durant la prière de contemplation du Christ, Dieu nous donne d'innombrables yeux chérubiniques pour que "resplendisse en nos coeurs la connaissance de la gloire de Dieu." Nos coeurs se trouvent alors enflammés par le feu divin, de sorte que nous devenons incapables, en ces heures bénies, de faire autre chose que glorifier Dieu sans interruption.
1. Ce texte a été publié dans Irénikon, 1986, p. 451-481.